Entre chien et loup


Personal project.
Story published in Smith Journal, Water Journal & Kaizen magazine.








Between Dog & Wolf


Present throughout the world since the dawn of humankind, shepherds are eternal figures who permeate our memories and imaginations. And yet, one of the world’s oldest occupations remains something of a mystery to the general public. Now, French shepherds are facing very modern challenges. Recent changes in our societies (industrialisation, globalisation, productivism, commercial pressure on land, etc.) and environment (urban sprawl, disuse and intensification of agricultural land, tourism development, climate change, the return of wolves to the French Alps since the early 90s) have profoundly transformed livestock farming and the French pastoral system. Such transformations question the permanence of an activity whose stakes are not only agricultural but more generally concern our relationship with the mountains and the living world.

Pastoral herding, which consists in herds of sheep being moved in search of fresh pasture and water in order to produce meat, wool, hides and organic materials for cultivation, dates back to the Neolithic Age. The shepherd’s duty is to use natural pastures in an intensive but sustainable way in order to raise lambs without overgrazing. In doing so, shepherds maintain and add value to vast natural spaces that are at once rich, productive and diversified, but that are also used for leisure and recreation by an increasingly urbanised society. Grazing herds on such land can ensure biodiversity and prevent the land from evolving into scrubland. In turn guardians, guides, livestock farmers, administrators, vets and agro-environmental agents, shepherds engage in a complex activity that requires a myriad of skills. On top of knowing the vegetation, the mountains, the animals’ rhythm and how to train and direct their dogs, shepherds must also be able to adapt and deal with the unexpected, seven days a week and in any kind of weather.

Jérémy Bertrand (30) and his partner Claire Texier (32) are livestock farmers and shepherds. Each summer, they take their herd of 1,600 sheep to the mountain pastures above Enchastrayes and the valley of Barcelonnette in Alpes-de-Haute-Provence. They own 400 head of sheep (200 ewes and 200 lambs) themselves, and also take care of 1,200 other sheep entrusted to them by seven other farmers. Such salaried work enables them to earn a living without relying on the financial aid of the European Common Agricultural Policy, which is conditional on many administrative and technical constrains (mandatory electronic ear tagging, genetic selection of breeding rams, etc.) that put heavy strains on the autonomy and prospects of the profession. According to Jérémy and Claire, what is at stake is “the choice between an industrial, production-driven and job-destroying agricultural model that makes farmers dependent on aid, and a peasant model that can feed people and create jobs and that respects both the environment and living things.”

The return of wolves to the French mountains reveals the herds’ vulnerability and the fragility of pastoral herding. Despite the use of sheepdogs, electric fencing during the night, and the constant presence of the shepherd during the day, the wolves have adapted and have managed to get around such measures by attacking in the daytime. Last summer, Jérémy and Claire’s herd suffered eight attacks. Recurring attacks discourage many livestock farmers and are slowly undermining a profession whose practitioners often feel helpless in the face of a lack of effective wolf population control in pastoral areas. For Jérémy and Claire, the wolf issue should open our eyes to the way we manage natural environments, either by putting nature under a metaphorical glass dome or by overdeveloping it: “The wolves haven’t returned by chance; natural environments are favourable to them. Forest regrowth in the mountains is the most striking example. Man has become disconnected from the natural world. We have abandoned vast productive areas in favour of leisure or private hunting areas. Nature has become our recreational getaway, our fantasy, but it is kept at a distance; it is no longer feeding us. Somehow we have to face up to it. What sustains our society? On what foundations have we built our empire? I’m afraid some of the answers to that question are that we have increased our dependence, abandoned ancient wisdom, and forced modern slavery upon people and faraway lands… The presence of the wolves raises all these questions, and we must reflect upon them.”

At a time when the shepherding profession is caught between dog and wolf, hope and fear, and when society is in search of more environmentally friendly, ethical agriculture, these farmers’ existence alongside large predators is a unique opportunity to reconsider the place of the shepherd in a shared mountain territory.

Entre chien et loup


Présent dans le monde entier depuis l’aube de l’humanité, le métier de berger semble immuable tant sa présence en montagne imprègne notre mémoire et notre imaginaire. L'un des plus vieux métiers du monde reste pourtant méconnu du grand public, et fait aujourd’hui face à des défis résolument modernes. Les évolutions récentes des sociétés (industrialisation, mondialisation, productivisme, pression foncière, etc.) et des milieux (étalement urbain, abandon et intensification de certains territoires agricoles, développement touristique, changements climatiques et retour du loup dans les Alpes depuis le début des années 90)ont imposé d’importants changements dans l'organisation de l’élevage et du système pastoral français. Ces bouleversements posent la question de la pérennité d’une activité dont l’enjeu n’est pas seulement agricole, mais concerne plus généralement le rapport de l’homme à la montagne et au vivant.

L’élevage pastoral, qui consiste à amener les troupeaux directement à la ressource naturelle en herbe pour produire de la viande, de la laine, des peaux et de la matière organique pour les cultures, remonte au néolithique. Le métier de berger se trouve à l’interstice entre la ressource spontanée des collines et des montagnes et l’exigence première de l’élevage vivrier. Son rôle est d’utiliser intensément les ressources naturelles en évitant le surpâturage pour produire de l’agneau tout en pérennisant les ressources. Ce faisant, les bergers et les bergères entretiennent et valorisent d’immenses espaces productifs, riches et diversifiés, en même temps que de vastes terrains de loisirs et de ressourcement pour notre société de plus en plus urbaine. Tour à tour gardiens, guides, éleveurs, gestionnaires, vétérinaires et agents agro-environnementaux, les bergers d’aujourd’hui exercent une activité complexe faisant appel à une myriade de compétences. Ils doivent connaître la végétation, la montagne, le rythme des bêtes, savoir dresser et mener leurs chiens, tout en sachant s’adapter et parer à l’imprévu sept jours sur sept et par tout temps.

Jérémy Bertrand, 30 ans, et sa compagne Claire Texier, 32 ans, sont éleveurs et bergers. Chaque été, ils conduisent leur troupeau de 1600 bêtes en estive dans les alpages dominant Enchastrayes et la vallée de Barcelonnette, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Propriétaires de 400 bêtes (200 mères et 200 agneaux), ils gardent 1200 bêtes supplémentaires confiées par sept autres éleveurs. Ce travail salarié leur permet de vivre de leur métier sans les aides de la Politique Agricole Commune, qui sont conditionnées par de nombreuses contraintes administratives et techniques (puçage électronique des bêtes, sélection des béliers reproducteurs par génotype, etc.) pesant lourdement sur l’autonomie et l’avenir de la profession. Pour Jérémy et Claire, l’enjeu est de pouvoir « choisir entre un modèle agricole industriel, productiviste, destructeur d’emplois et rendant les éleveurs dépendants des subventions, et un modèle paysan destiné à nourrir les hommes, tout en créant des emplois et en respectant le vivant et l’environnement. »

Le retour du loup dans les montagnes françaises révèle la vulnérabilité des troupeaux et la fragilité de l’élevage pastoral. Malgré l’adoption de chiens de troupeau, la mise en place de parcs électriques la nuit et la présence continue du berger la journée, le loup s’est adapté et parvient à contourner ces dispositifs en attaquant en plein jour. Cet été, leur troupeau a subi huit attaques. Les attaques récurrentes découragent de nombreux éleveurs, et met peu à peu à mal une profession souvent impuissante faute de régulation efficace des populations de loups en milieu pastoral. Pour Jérémy et Claire, la question du loup mérite d’ouvrir les yeux sur la gestion de nos milieux, tour à tour mis sous cloche ou totalement artificialisés : « Le loup n’arrive pas par hasard, les milieux lui sont favorables. L’avancée de la forêt en montagne en est l’exemple le plus frappant. L’homme s’est déconnecté du vivant. On a abandonné des zones productives au profit de zones de chasse privée ou de loisirs. La nature nous sert de poumon de loisir, de fantasme, mais reste à distance. Elle n’est plus celle qui nous nourrit. C’est bien cela qu’il faut regarder en face. De quoi vit notre société ? Sur quel socle a-t-on bâti notre empire ? Comme réponses j’ai bien peur qu’on trouve la dépendance, l’abandon des savoir-faire, l’esclavage moderne des hommes et des terres lointaines… Le loup soulève toutes ces questions auxquelles nous devons réfléchir. »

A l’heure où la profession se trouve entre chien et loup, entre espoir et crainte, et où la société se met en quête d’une agriculture plus respectueuse de l’environnement et du vivant, la cohabitation avec les grands prédateurs est l’occasion unique de reconsidérer la place du berger dans un territoire de montagne partagé.